Un Doisneau

La couleur est trop vive, le jaune un peu criard.
Je la repeins dans mon esprit, en argentique ou noir et blanc :
Photo que je ne saurais prendre, instantané d’intemporel ;
À temps voulu qui se révèle.

Un cran plus bas, je vois s’égayer la terrasse,
Animée du beau temps, de sa jeunesse active ;
Un cran plus haut j’avise une femme à son balcon,
Âgée, le regard triste, et qui perçoit le nouveau monde.

Oh, je dois le saisir, autant que j’en suis pétrifié,
En portrait suranné qui se réclame à son Doisneau,
Se cherche un cueilleur en images
Et non l’appui des mots.

La prise de vue est impossible,
Ou de l’immeuble en face, du toit peut-être.
J’ai cet élan irrépressible, en dévorant le cru spectacle
D’une vieille au bord des larmes, un peu trop penchée sur son vide.
Encore à demeure assez proche pour être en son époque exclue,
Mais déjà bien trop loin pour éluder, beaux souvenirs, années perdues.

Il suffirait qu’un Depardon plus intrépide,
Ou juste un rien moins scrupuleux,
Capte sa beauté pathétique,
Sa dignité, voile à tous bleus.

Mais de la savoir invisible au fond rend cette apparition,
D’ici d’autant plus magnétique, on croirait mystification.
Il ne tient qu’au deuxième étage d’un bar assez tranquille,
Où je deviens ce regardeur à sa fenêtre ;
Il ne tient qu’au détachement social,
Celui qu’on peut encore choisir sans disparaître ;
Il ne tient qu’à son visage éploré de surplomb,
Mais ne s’attèle au hasard à contrario,
Quand, si frappante, éclot l’allégorie.
De celles actant le résumé d’une vie :

Entre courée à ciel ouvert
Et mirador en servitude,
Ici je prends intermédiaire,
Assois mon règne en solitude.

Et pour autant mes yeux s’élèvent et fuient l’abîme :
Je veux encore, à mi-chemin, tendre au sublime.

Laisser un commentaire