Ton flair darwinien (m’aurait-il désigné par erreur ?)

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S’il te revient de choisir un plus fort, un maillon résistant,
Toi, seule à enfanter depuis la nuit des temps ;
S’il te revient de corps, et mieux, d’assentiment,
La perpétuation des gènes en tout assortiment…

Si reste tien l’irréversible effort, ô combien méritant,
D’offrir à l’être humain ce chainon persistant ;
Que t’appartient d’abord, à cœur ou par instinct,
De reproduire un spécimen, au prix d’autres destins.

M’en voudras-tu d’interroger alors, en ce ton révolu,
Ce qui me vaut peut-être à tort un certain dévolu ?
Mon horizon tracé contre sens à l’histoire,
Et ne fraye pour accès qu’un bref échappatoire…

…Il semble étrange au vu d’un tel accord entre nos phéromones,
Ainsi qu’on pût douter encore _ et ta peau me pardonne ;
En reste pourtant clair, à juger d’aujourd’hui,
Que tu poses un mystère en anthropologie.

Me sachant fruit d’un genre à faible essor, en l’époque étranger,
Non cet augure à meilleur sort, élu père ou berger,
Dis-moi, sans remettre en question ce dévouement flatteur,
Indûment porter à caution l’élan de son auteure ;
Se pourrait-il au fond que tu me veuilles impair,
Si darwinien, ton flair, en ferait-il erreur ?

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Peuple

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Il leur faut des trottoirs où n’erre aucun obstacle,
Assène au coin du bar une intruse, agitée.
D’un enfant, l’impulsive expédie l’habitacle,
Afin que tourne en cycle un bruit d’hérédité.

Lui vient-il au bon sens inhérent, d’éviter
L’embarras qui l’offense à raison d’un virage ;
Ou peut-être d’un mot _ d’ordinaire usité,
Au client sis de dos, réclamer le passage… ?

Il leur faudrait pouvoir, en toute égalité,
Du moindre usage induire une ample faculté.
Certains, de s’émouvoir à première occasion,
Ne souffrant qu’insuffire entrave une inclusion.

Posons qu’être bien né ouvre à de plus grands cieux ;
Mais si d’emblée nos gênes entrainent un contentieux,
Jusqu’où peut-on rogner l’étalon d’un costume,
À tout destin qu’il vienne épouser l’amertume… ?

On réclame un présent lavé de son histoire ;
D’aucuns voudraient absents du marbre de leurs pères,
Le nom et la figure, emblèmes ostentatoires,
Que ces gisants impurs estampillent à notre ère.

Mais quelle œuvre incendier, qui promettre au néant ?
Nos rues ne sont dédiées qu’à faible épreuve au temps.
Hier éclate en vain, paré de blanc ou noir ;
Le panthéon survient d’où s’éteint la mémoire.

On désigne un coupable, un vraisemblant fautif.
Il n’est jamais pensable au comble du tourment,
Que l’instrument d’un tort fût notre esprit rétif,
Où s’échafaude encore un bas ressentiment.

Pour en arriver là, plusieurs ont dû faillir ;
Et l’encre du faux-pas recoupe assez d’empreintes,
À visée d’œil instruit, au point de rejaillir
En désunion des plaintes échues au temps qui suit.

Le peuple est un récit sans dénouement commun,
Chacun son territoire, ou qu’on en vienne aux mains.
Éprouver l’interstice entre deux libertés,
Nous laissait pourtant croire au vivre en société.

Désormais l’on se tranche au gré de chaque enjeu,
À ses voisins de branche on répond du même « je ».
Figurants d’un partage où l’entre-soi prévaut,
Celui de genre ou d’âge, de croyance et de peau.

Le peuple est un vestige, encombré d’orateurs
Exhumant son prestige, à défaut d’unité.
De s’en réclamer face à tout contradicteur,
Au signifiant de « classe », offre un champ limité.

Viser l’universel à portée d’horizon,
Au fixé d’un regard éclairci de raison.
À pointer vers le ciel, on ternit ses lumières,
Imprudemment s’égare un absolu trop fier…

Et d’irrespect urbain en cinglants désaccords,
Au son d’un mot bénin, jusqu’à saignée des corps,
Est-ce un écrou fatal, au cadran d’une époque,
Entraînant que s’installe un climat d’entrechoc ?

Le peuple est un déni, son objet nous distingue…
On choisit l’angle mort où piquer la seringue.
Il oeuvre indéfini tant que peur ne l’assemble,
Et rejaillit d’un corps à qui nul ne ressemble.

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(Dessins originaux : © Franck Dudin)

La vie d’après (en tennis blanches).

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Je les observe du haut des marches,
De l’entrée sud, à contre-jour.
Rien ne m’imprègne en leur démarche
Qui porte un regard au détour.
Sinon peut-être un sot détail,
Dont je fais bientôt statistique ;
Tous à leurs pieds, divers en tailles,
Chaussant baskets à l’identique.

La vie « d’après » en tennis blanches,
Décontractée, à courtes manches…
Les conformés s’en vont de pair,
Chevilles à l’air, esprit étanche.

Un peu plus tard ensuite, au dos d’un contrebas
D’église, ouvrant pour fuite un horizon trop las,
Je demeure en posture sous le dernier rayon,
Ce qui me vaut bien sûr, d’un mendiant l’oraison.

Son visage embruni pointe un instant des leurs,
Mais l’oripeau vieilli, de près, n’offre aucun leurre.
Non qu’il fût S.D.F., juste d’un « bas quartier »,
Tenant, malgré sa Leffe, un verbe assez châtié.

« Monsieur, vous travaillez ? », surprend le quémandeur.
« Vous attendez une fille ? ». La veste, c’est trompeur.
Vouloir m’ensoleiller, sans paraître un badaud,
Agirait-ce en défi des canons sociétaux ?

Le jour d’après tel un dimanche,
Défile au creux des tennis blanches…
Regard cuivré sur idées claires,
Les bienheureux vaquent en streetwear.

Ils abondent en terrasse, semblant rentrés du front.
Reconstituent les masses, agréent qui se confond.
Le verre en porte à faux des actes et de l’esprit ;
Nulle armée, ni fléau, ce droit n’aura proscrit.

Mais sous leur farniente, une assise au pouvoir…
De consommer en force, ils se font un devoir.
Quitte à grossir le trait d’un rite hexagonal,
Se plaire à « ne rien foutre », « on paie bien, c’est normal ».

Au soir d’après, l’incurie franche…
Honneur à terre, les masques flanchent.
Vois-les sabrer leur délivrance :
Qu’ont-ils à perdre en suffisance ?

Ce qui déprave une ville, outre l’architecture,
Ses trottoirs aux déchets, ou l’afflux des voitures ;
Le vinaigre aux pupilles, assaillant quotidien,
Ce décor entaché provient du citadin.

Dépresseur ambulant, à vous gâcher la vue.
Anxiogène ou navrant, il indistingue les rues.
Qui l’a connue fantôme en convient, la cité,
Redevient monochrome à forte densité.

Poindraient-ils moins nombreux, plus singularisés,
Saurais-je alors, au mieux, m’en familiariser ?
En l’état je m’adonne à méandrer hors-piste,
Quand plus rien ne détonne, du natif au touriste.

Mais le champ se restreint, exhorte à vivre clos,
Partout l’inopportun vous désigne un de trop.
Privé d’intime espace, l’urbain se veut pratique :
« Il nous reste une table », près des W-C publics.

L’été d’après en sneakers blanches…
Automne-hiver, est-ce bien étanche ?
Sur un pavé trempé d’amer,
À pied contraire, on bat revanche.

                                                   (Illustrations originales : © Franck Dudin)

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Dieu ne saurait permettre…

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Dieu ne saurait permettre à l’homme en son royaume,
L’impensé de commettre une fission de l’atome.
Qu’un malheur en puissance échappe aux lois physiques,
Irait à contre-sens du principe anthropique.

Dieu ne saurait permettre un semblant de chaos,
Savants, autant que prêtres, en appellent au crédo.
Je nous sais désireux d’empreindre au champ d’honneur
Des bosses, plus que des creux, un neutron en plein cœur.

Dieu ne saurait prétendre à jouer cartes ou dés.
L’esprit, à s’y méprendre, entends élucider
L’abscons de l’univers, en son immensité.
Du hasard, il espère tirer nécessité.

Dieu ne saurait vouloir qu’on déroge à son œuvre.
Jusqu’où peut-on savoir, sans fausser la manœuvre ?
Nous n’aurons qu’à choisir l’altération du gêne,
Le champ du devenir s’étend à perte humaine.

« Dieu ne saurait permettre », intervient le chercheur,
Par-dessus l’éprouvette, en marge, afflue l’erreur.
Mais tenant tête aux cieux, je nous vois pactiser
Avec des temps radieux, offrant table rasée.

Dieu ne saurait permettre, à l’humain autonome,
L’enfer au point de naître en l’éclat d’un atome,
Qu’un mal exponentiel échappe à son verdict…
On peut douter du ciel, pas des lois qu’il édicte.

Couvrir le feu (apprête à combustion)

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Vois-tu, j’ai noté la recrudescence,
Du son des va-et-vient de l’ambulance.
Au cri d’un brûlé vif à son réveil,
Éclot le chant du siècle à mes oreilles.

Qui prend l’instant d’un appel aux urgences,
À témoigner de notre déchéance ?
Ce n’est pas tant que plus nombreux l’on souffre,
Un peu plus seul on tangue auprès du gouffre.

Bloquant l’impasse, un fourgon sanitaire
Cligne en ses phares un champ parasitaire.
D’abord inquiets, nos yeux s’entrouvrent à peine
Au néon froid de la détresse humaine.

On transfère un malaise occidental,
Sous les traits d’un sénior à l’hôpital.
Quatre infirmiers, deux restés en faction,
Souscrivent à l’ère de la sur-réaction.

Et la sirène accède au vœu de l’incendie,
Le gyrophare éclaire à perte de chienlit.

On ne saurait taxer de négligent
L’Intervenant casqué si diligent,
Que l’objectif en vienne à s’effondrer,
Tenant d’infimes écueils à dénombrer.

S’il paraît un défaut de surveillance,
Que certifier du sceau de malveillance ;
À tout moment l’accident peut brusquer
L’état des choses, en doit-on s’offusquer ?

Et le signal opère au gré du détecteur,
Plus bas de seuil, à terme il entretient la peur.

Les rues se vident, affaire de précaution…
Couvrir le feu apprête à combustion ;
Celui qui toujours se défend du pire,
Entraîne effets au cadre de sa mire.

As-tu observé la recrudescence,
Du son des va-et-vient de l’ambulance ?
Ce n’est pas tant que plus nombreux l’on cède,
On voit chacun sa pente un peu plus raide.

Combien je ne t’attends même plus.

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Si tu savais combien je ne t’attends même plus,
Comme un espoir de rien, dont j’apprends la vertu.
L’illusion m’a bercé, d’écueils en précipices.
Aujourd’hui j’aime assez que l’horizon se lisse.

Si tu savais combien je ne t’attends même plus…
Mais qui demeure empreint d’un pareil absolu,
L’écorché solitaire, l’adolescent meurtri ?
Pour ne voir qu’un sur terre, il faut naître ébloui.

Quel que soit ton visage, de blond ou brun cerclé,
L’abîme entre nos âges, impropre à se combler ;
J’ai perdu l’idéal, retrouvé l’éphémère,
L’amour n’est plus fatal, doit-il en être amer ?

Quel que soit ton prénom, il revient par milliers.
De tes lèvres, le son, m’est toujours familier.
Je t’ai déjà connue, oui, regrettée peut-être.
Au commun du vécu, n’entends plus me soumettre.

Alors sachant combien ta renommée s’épuise,
Vexée d’être déchue, voudrais-tu par surprise
Planter à mon insu l’ironie du destin,
Que tu puisses apparaître où, non, je n’attends rien… ?

Si tu savais combien je n’ai plus ce désir,
Le sort voudrait qu’enfin tu cherches à l’assouvir.

Six jours

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On t’a donné six jours, qu’as-tu refait du monde ?
Le congé n’a payé, ni révision, ni fronde.
Il faudrait reposer, en paix de toute conscience,
À ces drames au long cours, imposer ton silence.

On t’a fait naître ancien, d’illusions moribondes.
Ah, ton siècle irait loin, porté de bras en ondes…
Et puis demain s’attarde, il te bannit d’avance
Du courant de l’histoire, sans même une autre chance.

On t’annonce en présage, à te voir éperdu,
Qu’à tirer sur la corde, elle décroche un pendu.
Vois comment tu sabordes un temps de rémission,
Par un fâcheux dosage en contre-indications.

On t’accorde une semaine, tu veux perpétuité.
Pour solde de tout compte, moins quelques annuités…
Quand point le jour septième, te pressant d’accomplir
Autant qu’un homme escompte, ainsi voudrais-tu fuir ?

On t’a donné six jours, et qu’as-tu fait du monde,
Enfin passée l’idée qu’en ton sens il abonde…
Arrive à destinée ton errance inféconde..