Espace préservé.

Étage bloqué
Espace privé
Abri civilisationnel
Entrave exceptionnelle
Un euro quatre-vingt…
La paix je l’entretiens
Du fond de ma monnaie
Pour un peu, c’est donné.

Espèce à protéger
Un rien privilégiée
Menace en extinction
Promesse à dérision
Égard à l’individuel :
En trêve à tout duel

État des cieux
Regard anxieux
L’abri ne m’est que temporel
Encore un cycle
À viser mieux,
Prétendre à s’en réchapper belle

Étage à soi
Béni d’un toit
Repli confidentiel…

Un autre écart en vain
Je saisis néanmoins,
Sinon quelques années,
Deux heures abandonnées

Échelon bloqué,
Vision figée :
Comme un répit si tôt nous freine…

Entrechoqué
D’un pas léger…
Le coup suivant nous lit sans peine

Un euro quatre-vingt…
Septembre y contrevient :
Deux, tout rond, désormais.
L’illusion m’endormait
Que la paix fût donnée…

Signes des temps, vous l’étayez,
N’accusons plus d’être étonné :
Notre quiétude est monnayée.

(Tableau : Edward Hopper)

Un Doisneau

La couleur est trop vive, le jaune un peu criard.
Je la repeins dans mon esprit, en argentique ou noir et blanc :
Photo que je ne saurais prendre, instantané d’intemporel ;
À temps voulu qui se révèle.

Un cran plus bas, je vois s’égayer la terrasse,
Animée du beau temps, de sa jeunesse active ;
Un cran plus haut j’avise une femme à son balcon,
Âgée, le regard triste, et qui perçoit le nouveau monde.

Oh, je dois le saisir, autant que j’en suis pétrifié,
En portrait suranné qui se réclame à son Doisneau,
Se cherche un cueilleur en images
Et non l’appui des mots.

La prise de vue est impossible,
Ou de l’immeuble en face, du toit peut-être.
J’ai cet élan irrépressible, en dévorant le cru spectacle
D’une vieille au bord des larmes, un peu trop penchée sur son vide.
Encore à demeure assez proche pour être en son époque exclue,
Mais déjà bien trop loin pour éluder, beaux souvenirs, années perdues.

Il suffirait qu’un Depardon plus intrépide,
Ou juste un rien moins scrupuleux,
Capte sa beauté pathétique,
Sa dignité, voile à tous bleus.

Mais de la savoir invisible au fond rend cette apparition,
D’ici d’autant plus magnétique, on croirait mystification.
Il ne tient qu’au deuxième étage d’un bar assez tranquille,
Où je deviens ce regardeur à sa fenêtre ;
Il ne tient qu’au détachement social,
Celui qu’on peut encore choisir sans disparaître ;
Il ne tient qu’à son visage éploré de surplomb,
Mais ne s’attèle au hasard à contrario,
Quand, si frappante, éclot l’allégorie.
De celles actant le résumé d’une vie :

Entre courée à ciel ouvert
Et mirador en servitude,
Ici je prends intermédiaire,
Assois mon règne en solitude.

Et pour autant mes yeux s’élèvent et fuient l’abîme :
Je veux encore, à mi-chemin, tendre au sublime.

Le tour de cette ville.

« J’ai fait le tour de cette ville« , de ces gens, de tous mes nerfs,
Et pourtant reste quelque fil obstinément qui m’y réfère.
On ne s’étonne à ma figure, en d’autres temps parue si vierge.
Il n’est plus fissure en l’armure, où l’insouciance émerge.

Aussitôt la sentence ébruite un écho familier :
Quand périt l’accointance, à l’endroit qui nous tient relié.
Cent fois, n’ai-je entendu, cet air aux quatre vents,
« Jamais plus, jurais-tu, déjà le coup d’avant ».

Combien j’ai pris de cet hiver en trop, donné fatal ?
On s’en fraye de moins pires, ainsi prévaut l’élan vital.
Un nouveau cycle advient _ d’emploi, d’appartement,
Se raffermit le lien, s’ensuit l’attardement.

L’un se voyait partir, « exit » avant la fin d’année.
L’autre avoue s’en sortir, et n’en vit pas moins condamné.
Brève est souvent l’idylle ; au fond l’accoutumance urbaine
Où que l’on prenne exil, y tient à dépendance humaine.

« J’ai fait le tour de cette ville« , ainsi j’entends sonner de pair
Un autre discours intranquille, et ne veux tendre à m’y complaire.
À cet égal en dissidence, un doux rappel est bénéfique ;
En ses mots frappe une évidence : il réitère à l’identique.

Et me voilà saisi d’un vœu soudain contraire,
Intuition m’est qu’ici demeure encore à faire.
En moi n’ai-je eu pourtant, cent fois, comme un serment,
Le présage éclatant qu’arrivait l’achèvement ?

« J’ai fait le tour de cette ville« , de mes chances, on tire au clair ;
Et je m’accroche indéfectible, en due conscience, au dernier verre.
Il n’est de piège ou bon augure à suivre où son esprit converge.
On est sortant que d’être sûr enfin qu’ailleurs émerge.

L’immuable.

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Laisser agir l’anthropologie,
Venir d’elle-même, tirer profit.
Commander puis s’asseoir, attendre,
Voilà, elle se produit.

Le dispositif est simple,
L’expérience, libre :
Un verre, un feutre, un calepin,
Sinon un livre.
Ou même à nu peut-être,
Sans le moindre effet.
L’étrangeté suffit.
La présence induit.

Par œuvre de curiosité ou vœu de confession,
Besoin irrépressible de faire intrusion.
Le rapport humain décide
En qui reçoit et qui émet.
Qui prend sur soi, et qui tout près s’assied.

Rendre pouvoir à la nécessité.
Qu’elle nous livre au hasard,
À flux d’actes manqués.
Choisir un point aléatoire,
Sans rendez-vous précis ;
Une connaissance arrive, ou nous a précédé :
Quel est ce cheminement d’où surgit l’improviste,
Improbable enchaînement ou franc déterminisme ?

Il faut donc ce prétexte, insignifiant
_ courrier ou simple achat,
À sortir un bagage
Éprouvé bien plus lourd.
On ne s’attendait pas,
On se découvre, même.
Et le porteur importe peu,
Tout confident ferait l’affaire.
Ou s’il apporte davantage,
En être « élu », plie à sa tâche.
On ne fuit pas nécessité,
On en devient l’habitué.

Rendre son règne à l’ancestral.
Endosser contre-emploi
D’être un esprit moderne
En butte à d’autres lois.
Bien sûr on voudrait surpasser
Sa condition humaine, évoluer
Vers idéale espèce,
Autant muer.

Mais l’immuable opère,
Et se déjoue de tout progrès.
Sa preuve est quotidienne,
Au moindre vide il se recrée.

Instinct de rendre corps à l’animal.
Assumer d’être encore un peu tribal.

Se laisser désigner par intuition,
Vision de l’extérieur ou flair,
On se dévoile en intentions.

Nous laisser peindre en proie peut-être,
Hâter le sort qui nous désigne,
Quand chaque instant y prédestine.

À condition première en ce statut,
De n’être agi qu’envers plus dépourvu.
Que son besoin ne l’autorise à prédation,
À croire un sacrifice aimable incitation.

Peut-on se refuser victime et ne vivre en chasseur ;
Cueillir ainsi l’intime, exempt d’en être possesseur ?

Laisser régner l’ordre des choses,
À clairvoyance humanisée.

(Tableau : Egon Schiele – « Lovers  Man and Woman »)

 

Des stories avec les morts.

Egon-Schiele_death-and-the-maiden3

Faire des stories avec les morts…
Au quotidien leur rendre un corps.

Il errait en vacances,
Et là dans son jardin.
N’y voyons décadence
À liker nos défunts.

Souhaiter l’anniversaire encore
À ceux qui manquent à nos décors.

Il approchait trente ans,
Elle en aurait quarante.
Et l’on vieillit d’autant
Qu’eux restent une invariante.

À les voir en montagne
Aussi bien qu’à la mer,
Absents nous accompagnent,
Égaux d’être éphémères.

Inviter sans savoir un mort,
En cochant son profil à tort.

Réponse « intéressé ».
Curieuse indécision
Venant d’un trépassé,
Louons sa rémission.

Qu’on débranche un mourant,
Ne peut désactiver
Son réseau perdurant,
De quoi le raviver.

Mettre un selfie du temps d’alors.
Ivre, un peu flou, mais cent « j’adore ».

On l’ignorait souvent,
Lui comptait peu d’amis.
Elle sortait plus avant…
Que devient sa famille ?

Peut-être « on aurait dû »,
Peut-être « on n’en sait rien ».
De vie, l’on s’est perdus,
En « vues », l’on s’entretient.

Faire des stories avec les morts,
Identifier comme un remord.

(Tableau : Egon Schiele – « Death and the maiden »)

Dans mon oubli.

Egon Schiele - Holding hair

Je jette un souhait dans mon oubli.
Creux s’en résonne au fond du puits.
Vœu qui n’a donc voulu de moi,
Souffre en raison que je te noie.

Je veille à soigner mon déni.
L’horizon m’ancre à ce défi.
Vérité crue, d’un gant de soie,
Ta peau déchue je n’aperçois.

Je vise un angle où tu n’es plus.
Où de ma pensée je t’exclue.
Il faut ce biais de chaque instant,
Coup d’œil inquiet, j’échappe à temps.

Aux uns suffirait d’être ailleurs,
Agis vers une issue meilleure ;
Où d’autres iront bien au contraire
En plein sillon ce mal extraire.

On n’est pas moins lâche en restant,
Qu’à poursuivre un trajet distant.
L’impasse est double, aussi mon choix
Tient quant au doute infus en moi…

Je jette un sort à mon fléau.
Que lui revienne enfin l’écho
De son présage en bienveillance,
À mon visage échu d’avance.

Et j’en appelle aux idéaux,
Lâchés depuis, tombés de haut…
Rendez séquelle aux sans regrets,
Qui scellent en puits l’aimant secret.

Je reste un souhait dans ton oubli.
Trait d’inconscient me rétablit.
Te surprendrais-je à me cibler ?
Œil insouciant, tu vois troublé.

(Tableau : Egon Schiele – « Holding hair »)

« Merci d’être vivant. »

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Ne rien faire en particulier,
Autre que d’en faire trop.
Pourquoi devrais-je esprit relier
À ce jour en fardeau ?

Sachons plutôt ne rien changer
Qui s’offre à l’inertie.
On encourt un plus grand danger
À céder au sursis.

N’attendre aucun présent du ciel
Ou promesse en repos.
M’éclaire, aussi providentiel,
Un gratifiant propos :

Simple « merci d’être vivant »,
Surprends-je à mon égard.
Hommage inescompté, souvent,
Ne tient qu’au gré d’un soir.

Et s’il faut trouver récompense,
Ou d’un répit, bienfait,
Me savoir utile évidence,
A bien meilleur effet.

N’avertir au calendrier
Qu’être fidèle à soi.
Tiens-je au rappel à l’encrier
Qu’un temps j’eus prime espoir ?

Au prix d’un long soupir adulte,
Ai-je à répliquer « non ».
À d’autres, bonheur et son culte :
Enfant, m’astreint ton nom.

S’il me faut trouver réjouissance,
Un pas plus loin suffit.
N’éprouvez dans ma réticence
Aucun blâme ou défi.

Combien verraient mieux s’en passer,
Ont fausse exaltation.
Prenant sur eux de ne froisser
Chez d’aucuns, tradition ?

Combien s’abîment au point d’ancrage
Où l’ordre s’établit.
Eux n’ont que solitude et rage,
À battre en ce repli.

Ne rien faire en particulier,
Si blanchir un tableau,
Seul en cette occasion dédiée
Vaut à demain sanglot.

N’attendre aucun présent du ciel,
Et plus que tout repos,
Doux mot résonne existentiel
À qui tend son chapeau.

« Merci d’être vivant »,
Comprends-je à ce regard.
Hommage étreint souvent
De vibrer un peu tard.

(Tableau : Edvard Munch – « Eye in eye »)