Dans mon oubli.

Egon Schiele - Holding hair

Je jette un souhait dans mon oubli.
Creux s’en résonne au fond du puits.
Vœu qui n’a donc voulu de moi,
Souffre en raison que je te noie.

Je veille à soigner mon déni.
L’horizon m’ancre à son dépit.
Vérité crue, d’un gant de soie,
Ta peau déchue je n’aperçois.

Je vise un angle où tu n’es plus.
Où de ma pensée je t’exclue.
Il faut ce biais de chaque instant,
Coup d’œil inquiet, j’échappe à temps.

Aux uns suffirait d’être ailleurs,
Agis vers une issue meilleure ;
Où d’autres iront d’un pas contraire
En plein sillon ce mal extraire.

On n’est pas moins lâche en restant,
Que d’emprunter chemin distant.
L’impasse est double, aussi mon choix
Tient de quel trouble opère en moi.

Je jette un sort à mon fléau.
Que lui revienne enfin l’écho
De son présage en bienveillance,
À mon visage échu d’avance.

Et j’en appelle aux idéaux,
Lâchés depuis, tombés de haut…
Rendez séquelle aux sans regrets,
Qui scellent en puits l’aimant secret.

Je reste un souhait dans ton oubli.
Trait d’inconscient me rétablit.
Te surprendrais-je à me cibler ?
Œil insouciant, tu vois troublé.

(Tableau : Egon Schiele – « Holding hair »)

Ce qu’on devient.

Ce qu'on devient.

Sait-on jamais ce qu’on devient,
Au yeux du monde, aux yeux des siens ?
Chemin étant, le moment vient
Où l’on oublie ce qui nous tient.

Dix ans passés, quinze, ou bien vingt,
Nous font se demander parfois,
De combien, vu d’une autre fin,
S’est mise à dévier notre foi ?

Témoin, l’ami nous veille à charge,
Encore au fait de nos errements.
Son pli des yeux trahit la marge
Opposant l’œuvré du serment.

Lui qui retient ce qui n’est plus,
Un temps confié, déchu depuis,
Sait qu’entre deux trains du vécus,
Plus l’un avance et l’autre fuit.

Voit-on jamais ce qu’on devient,
Aux yeux d’un pair, au goût des siens…
Chemin distant, le jour advient
D’envisager à quoi ça tient.

Au gré du hasard on découvre,
À notre insu d’un rien blessé,
Comment chez d’aucuns la vie s’ouvre,
Où l’on avait pris le fossé.

L’autre a souvent de qui tenir,
En cas d’échec où rebondir.
Et surtout premier se libère
Des maux d’esprit qui nous affairent.

Sait-on jamais ce qu’on devient
Aux yeux d’ailleurs, au nom des siens ?
Chemin frayant, l’endroit survient,
Quand ce regard en lui nous tient.

L’impensé frappe en nos détours ;
Un piéton mis à dépourvu
Sous-tend que la vie suit son cours,
En bien, en pire, en déjà-vu.

L’autre est marié.e, bientôt parent,
Ou ne sort plus tant comme avant.
Acté, le deuil en son vivant,
De qui fût notre égal au rang.

Sait-on jamais ce qu’on devient
Pour une époque, outre nos liens…
Chemin venant déjà demain,
S’impose en creux l’avis commun.

Tant qu’à nous soumettre à l’histoire,
Il nous tient d’en fixer la forme.
Au détail on est pris de croire,
À défaut d’endiguer la norme.

Eux qui s’épuisent en parallèles,
Oublient qu’en chaque œil, on dévie.
Et qu’entre deux lignées jumelles,
Une a tranché, l’autre suivi.

Croit-on jamais ce qu’on devient,
De si futile, au presque rien.
Chemin tombant, scintille enfin
L’écrin d’éternel en chacun.

Vingt ans sonnés, cinquante ou cent,
Nous rendront tort d’en être absent.
D’astreinte à vivre on se libère,
Autant briller avant poussière.

Et même enfui ce qui nous tient,
D’avance écrit notre inventaire,
En nous l’éclaire idée survient :
Se fourvoyer, peut être en bien.

Seize euros cinquante.

young homeless
(unknown credit)

La ville est noyée sous défiance,
Sa peur est nôtre à éponger.
Quand du mendiant je prends conscience,
Je n’ai plus corps à m’échapper.

Il lui faut seize euros cinquante,
À réunir en un quart d’heure.
L’intimation me vient sécante,
Au bas du ventre en lieu du cœur.

Rien qu’alentour, c’est le troisième.
L’hiver à terme, leur flux redouble.
Pour tous les deniers que j’essaime,
Ma récolte est fixée en trouble.

Un peu plus tôt l’après-midi,
Courant aussi l’altercation,
Je m’offre imprudemment assis
À deux vauriens en exaction.

Si tôt ressaisie ma stature,
L’échange est clôt d’un regard ferme ;
Dont je trahis pourtant l’usure,
Face au renouveau du problème…

Lui n’a pas plus de dix-huit ans,
Fût agressé la nuit dernière,
À sa cheville un renflement,
Cet élan guerrier lui confère.

Mais c’est la peur d’être victime,
Qui lui fait promettre un racket.
J’ai beau manié quelques centimes,
Seul un retrait paierait sa quête.

L’habit me voue trop grand crédit :
Trois pièces, et pourtant les poches creuses.
Mon procès en sociologie,
Bâclé d’une envolée hargneuse.

Certes, à quoi bon lui affirmer
Qu’il s’en prend juste à moins précaire…
Le garçon déjà d’accoster
Une autre cible à traîne-misère.

Et je donne peu cher de ma peau,
Au soir des grands renversements,
Si le prochain est pour bientôt,
À quelques signaux près des temps…

Le sans-logis mordra au cou
Du déclassé, du faux bourgeois.
Le besogneux rendra ses coups
À l’étranger, au contre-emploi.

Suintant du ferment des affects,
On verra percer l’étendard,
Qu’aucun serment ne désinfecte,
Ocre à jamais de son histoire.

La ville endrapée de vindicte,
Assombrira les jours de ceux
Qui de l’époque nient le verdict,
D’aucun parti n’ont fait l’aveu.

Ce doigt qui pointe à vent contraire,
Pourra toujours s’en retourner.
L’esprit ni pour, ni adversaire,
Celui-là deviendra suspect.

Il lui faut seize euros cinquante,
Le prix d’un sommeil abrité.
Au moins l’insurgé en attente,
Au creux du mien saura frayer.