Et que nausée passe…

J’attends que la nausée passe,
J’attends la marée basse.

Les mêmes symptômes que la nuit précédente,
Au réveil cette fois
Au moins là j’ai pu dormir.
Douleur abdominale et lombaire suraiguë,
L’eau chaude n’y fait rien,
Je ne sais pas comment j’ai réussi à prendre cette douche et m’habiller
Avec des crampes pareilles…

J’en parlais hier à une amie :
Comment la douleur est cette courbe à front ascendant
Qui vient plafonner ensuite, avant déclin, puis soulagement
Et il nous faut seulement tenir bon au plus haut du seuil,
Celui qui peut rendre fou.
Constater l’impermanence des choses,
Ça vaut aussi pour la douleur, du moins physique.

J’arrive enfin à sortir pour respirer un peu
Marcher, que faire d’autre ?
À peine en sur-place, on redevient cible
Lorsque je m’arrête, c’est pour chercher un mot,
Pour trépigner
Alors je trouve, ou continue un peu plus loin
J’ai des réponses à beaucoup de choses,
Et puis survient un nouveau mal,
Ou dont m’échappe le souvenir :
Historiens de ma santé, ai-je aussi bien occulté ?

Ça peut n’être rien bien sûr,
Mais « rien » c’est très frustrant comme diagnostic.
Ça peut être tout alors :
Stress urbain, mal-être occidental, éco-anxiété,
La guerre en Europe, la remontée du fascisme…

Trouver quelques raisons collectives à son mal aux tripes,
Au fond je n’ai jamais essayé.
Le personnel a toujours supplanté le sociétal :
Entre souffrir d’un manque de considération,
Ou par voie de licenciement,
Et souffrir d’avoir perdu, tel un bras, l’être aimé,
Il n’y a même pas l’ombre d’un duel à mon sens.
Peut-être que des millions de gens ressassent une mauvaise rupture,
Et ça leur remue les tripes jusque dans l’isoloir.
Jusqu’au déni du commun,
Ou dans sa pure exaltation précisément.
Une porte se ferme, il faut bien casser un mur
Sinon en construire un, très haut, très solide
Qui sait par quel trou de souris le réel peut ressurgir…

Alors je joue cette carte,
Pour m’offrir deux heures d’épiphanie :
Le problème ce n’est pas moi,
Ça vient des autres.
Si je n’étais pas abordé trois fois par rue
Pour me rappeler agressivement qu’il y a plus nécessiteux,
Si l’air était un peu moins particulo-finé,
Le ciel un peu moins grisé, les mines un peu moins déchues…
Alors cette pâtisserie du dimanche au coin achetée,
N’aurait plus tant ce goût de piètre consolation,
Elle s’élèverait peut-être alors jusqu’à délectation.

Mais je n’en demande pas tant à cette époque.
Au moins de rester valide
Et sans douleur insupportable.
J’ai toujours cet écho de 1984,
Quand dans la dernière partie
Le personnage hurle sous la torture :
« Faîtes-le à elle, pas à moi ! »
Voilà, c’est ce que je demande à cette époque :
Qu’elle m’épargne de souhaiter la souffrance directe d’un.e autre
Afin d’éviter la mienne.
Le tort, on en cause de toute façon
C’est structurel, systémique.
Un seuil est franchi lorsqu’on voue le pire à son voisin de torture.
Et si l’image apparaît outrancière,
Alors disons voisins du même malheur, voisins de galère.

Fin de ma trêve opportuniste.
Non, le problème ce n’est pas l’autre,
Mais il peut grandement y contribuer.
Et cette poire-frangipane est tout à fait correcte
Médecin mardi par précaution.
La douleur n’est pas revenue pour l’instant
Que passe la nausée à présent.

(Painting by Egon Schiele)