Ton obsession des mitaines.

Faut-il cracher ses mots dans une seringue pour piquer au plus vif ?
Faut-il s’écrouler nu dans une pissotière, afin d’écrire un seul vers décent ?
J’enlève mes mitaines, si tu remballes tes clichés.
Je déboutonne la veste, et tu deserres ton virilisme.
Si c’est trop propre pour toi, tu n’as qu’à te nettoyer un peu l’esprit.
Si tu crois voir en moi un « pédé qui veut se faire péter le c.. », c’est que j’intrigue ta libido manifestement.
Ai-je seulement à démentir ? Aucune insécurité identitaire, vestimentaire, ou hétéro-normée, ne m’atteint particulièrement. Je peux donc aussi bien jouer les ambigus cinq minutes, quitte à te rendre encore plus nerveux.
Je sais, tu as quatre enfants, tu me l’as déjà dit trois fois. C’est une tendance assez commune aux bons pères de famille noceurs du vendredi soir, sous l’excès d’un mélange whisky-coke : se raccrocher à leur situation, au foyer, aux preuves de réussites individuelles… Tu es peut-être désagréable, mais respectable en somme. J’entends comme un semi-aveu de lourdeur. Je te semi-excuse alors.

Faut-il mitrailler tel un scarface à trois cents mots la minute, pour témoigner d’une quelconque urgence de vivre ? J’apprécie ta syntaxe, et ton ambition lexicale à l’heure où la viande saoule bégaie. Mais si tu pouvais seulement te dépoudrer le nez avant d’ouvrir la bouche.
Là tu préfères ? C’est mieux ? Ça sonne moins « Mitaines et Flaubert » ? Épargne-moi la caricature du poseur de comptoir, façon café philo. J’ai sans doute moins lu que toi. Mais pour ce que tu en fais…
Et non, je ne vais pas prendre « une autre voix » plus théâtrale, ni te déclamer du Molière ou du Rimbaud. Je ne suis pas comédien, te redis-je pour la 4ème fois. C’est toi qui aurait voulu l’être. Au moins ça t’aurait appris à écouter l’autre, sans lui bouffer toutes ses répliques. Molière sous coke, ça ne me donne encore moins envie que « Les Fleurs du mal » à jeun.

Qu’est-ce que j’aimerais déclamer plutôt ? Juste lire en fait, voire chuchoter. Reed, Cohen, Morrison, Dylan, Curtis… Disons pour te situer la branche littéraire. Pas certain qu’on puisse les asseoir au même cours d’écriture honnêtement.
Lou Reed savait que le jour de sa mort, on jouerait « Walk on the wild side » en boucle, et que toi tu reprendrais trois fois des frites… On ne peut pas choquer les bonnes mœurs jusque passé 70 ans. Être étudié à l’université de son vivant, est-ce bien sérieux, lorsqu’on a écrit « Heroin, be the death of me » ?

Faut-il encore du glauque et des bas-fonds, du trash et du fouet, du « bi », du « trans », pour sonner plus réel aujourd’hui, plus autobiographique ? Tu sais, Lou Reed n’a jamais vécu à Berlin. Cohen faisait semblant dans « Dressed rehersal rag », où il surjoue son propre misérabilisme. Morrison enfant, a peut-être aperçu des indiens morts dans un accident de voiture ; quant à recevoir leurs âmes, on soupçonne un brin de mythologie post-traumatique. Dylan s’appelait Zimmerman, et John Lennon ne croit déjà plus en lui en 70 (sur la chanson « God »). Ian Curtis était marié à 18 ans, sa photo de mariage ressemble à celle d’un futur comptable enclin à mener une vie très paisible.

Tu aimes les gens qui savent se « tenir », me répètes-tu encore, pour faire contrepoids à tes relents homophobes et ton obsession des mitaines. Si tu m’avais vu trébucher sur le pavé luisant de la vieille ville l’autre soir… Je n’ai pas su me tenir. Étalage à plat, flegme un peu froissé. Les mitaines, ça protège du froid sans perdre en finesse. Mais surtout ça protège les mains quand on se vautre par terre _ car oui, ça m’arrive aussi, et ça aide derrière à se relever plus vite.
Ce je te souhaite d’ailleurs, avant de partir. Tiens-toi mieux, camarade d’un soir. Fais-moi envie.

 

(Tableau : Egon Schiele – « Portrait of Arthur Roessler »)

Des stories avec les morts.

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Faire des stories avec les morts…
Au quotidien leur rendre un corps.

Il errait en vacances,
Et là dans son jardin.
N’y voyons décadence
À liker nos défunts.

Souhaiter l’anniversaire encore
À ceux qui manquent à nos décors.

Il approchait trente ans,
Elle en aurait quarante.
Et l’on vieillit d’autant
Qu’eux restent une invariante.

À les voir en montagne
Aussi bien qu’à la mer,
Absents nous accompagnent,
Égaux d’être éphémères.

Inviter sans savoir un mort,
En cochant son profil à tort.

Réponse « intéressé ».
Curieuse indécision
Venant d’un trépassé,
Louons sa rémission.

Qu’on débranche un mourant,
Ne peut désactiver
Son réseau perdurant,
De quoi le raviver.

Mettre un selfie du temps d’alors.
Ivre, un peu flou, mais cent « j’adore ».

On l’ignorait souvent,
Lui comptait peu d’amis.
Elle sortait plus avant…
Que devient sa famille ?

Peut-être « on aurait dû »,
Peut-être « on n’en sait rien ».
De vie, l’on s’est perdus,
En « vues », l’on s’entretient.

Faire des stories avec les morts,
Identifier comme un remord.

(Tableau : Egon Schiele – « Death and the maiden »)

(do not show) The OK version of yourself

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The OK version of a song is never satisfying.
When you bring the effort in not screwing it up
Instead of wanting the song to be greater,
That’s playing defensive, that’s playing too modest.

Don’t be modest by the way.
If you avoid being pretentious too obviously,
It’ll always look, feel, or sound a bit restrained.

And the OK version of that song
Becomes a revealing feature
Of how you live your own life,
Scheme your plans, aim the next border, the next chapter,
Trying so hard not to fail
That you never succeed in the end.

If you deliver that OK version of yourself to the world,
Don’t expect any bigger consideration.
The world is not a secret talent searcher.
For better and often worse,
It only pays attention to an edge at the moment,
To a movement or idea so undeniable they can’t wait.
It only shows interest for greatness and stupidity,
Beauty and horror,
Naked truth and gross lies.

Oh wait,
Let’s be fair,
There’s another hook actually.
Being awkward, special, unusual, unexpected…
Yet not in a shy way :
See, you can’t just be weird on your own,
It has to mean something.

And it’s not « OK »
It’s not « alright ».
It’s you.

(Painting by Francis Bacon – « Portrait of George Dyer »)

(Être) une page sans fin

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Tu voudrais que cette page en vienne à tourner seule…
Et tienne au vent léger d’apprêter son linceul.
À peine un courant d’air, aussitôt le rabat,
_ Quand c’était juste hier, du pli sur nos ébats.

Tu voudrais que dette passe, au premier chant du deuil.
Empreintes à effacer : mieux, retourner la feuille.
On prie bas de se taire un si proche au-delà,
Oraison reste à faire, en sourdine à ce glas.

Mémoire insiste, où vision cesse.
Aucun repos n’éteint la cendre…
Émoi résiste au train qui presse,
Un dernier mot, freinez cassandres…

Il te siérait de n’être otage ainsi d’un autre cœur…
Et ce volet d’histoire en essuie ta rancœur,
À redonner sa chair au cordon ceint d’éclats,
D’une antérieure affaire insoumise au trépas ?

Feindrais-tu que cette page oscille en ta main seule,
Et vienne à ton regret d’en arracher le seuil…
Aimé.e, crois-tu défaire en parenté deux âmes ?
Apprends qu’un jet de terre n’a su courber la flamme.

(Tableau : Edward Hopper – « Compartiment C, Voiture 293 »)

Can’t hurt the pain.

Edvard-Munch-Vampyr-II-1896

You can’t hurt the pain.
Can’t make the grief suffer the way you do.
Nor cut a lifeless branch on a weak familiar tree,
Regardless of the shades unrolling over you,
From every last year’s leaf the spring will not renew.
You won’t kill what’s dead already,
Loathe what’s cold or vanished,
What no more will shine.
Even when the old flame surrounds you.

You do not heal,
But never grows the fatal wound,
Wishing you’d turn the stroke of fate
In a violent revenging blow.
By then you point the fist
Against your own shadow,
Unveil a clear target
For those of light beliefs,
Who hardly bare their chest,
And let their feelings go.
You look for mind relief,
In the balance we make
Between beauty and dirt.
Not amongst right or wrong,
Justice and crime.

You’re not the lawyer.
Because you feel, more than you judge.
You get to sense, more than you deem.

Then in the final repentence,
Here is the greatest of your deeds ;
If, as a living remembrance,
You are the one she requested
For the ultimate confidence,
Facing an almost departed.
The hand in debt will cure
What itself had branded.
And you will know the touch,
As you will know your pain,
But then also the prints
From a brotherly chain.
This major human link
Was never born in vain.

So you will have to lend
Your own uncertain hand,
All over bitterness,
Absence and loneliness.
Wide open for a mate
Not to a broken fate,
Not to a shred of history,
Nor a fallen memory.
Not to a leaving rest of life.

For you cannot hurt the pain.
She’ll lift you anyway.

And you shall forgive.

(Tableau : Edvard Munch – « Vampyr II »)

Au masculin de « muse »

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Le sujet prend racine, aimable digression ;
Peut-être y vois-je un signe, ou dérision m’amuse
À pointer que n’existe en courante expression
_ Complaisamment sexiste, un masculin de « muse ».

Est-ce en l’état réduire au strict féminin
Le propre d’influer sur une œuvre, un esprit,
Et ce que dame inspire en grâce ou don divin,
Comme un talent muet, chez l’homme on n’eût inscrit ?

Abandonner ce terme, en désigner un neuf ?
Au moins qu’on ne l’enferme à demeure en cliché.
L’abréger de son « e » produirait un mot veuf,
Assonant peu gracieux, d’être en mâle affiché.

Sans bien me l’avouer, n’ai-je envie jamais eu
D’émouvoir un instant la plume ou le pinceau,
Qu’une autre main douée prendrait à mon insu
Et d’un recoin distant, marquerait tel un sceau…

Frustré, l’homme en artiste, au fond l’est plus encore
À signer portraitiste en se rêvant modèle,
À consacrer le beau sans paraître au décor,
Assorti d’un flambeau qui se voudrait chandelle.

Ô, trahison du mythe ou d’un nom désuet,
Te vois-je ainsi, débat d’un soir évacué,
Me soumettre, insolite encore, une inversion :
Croquer après l’ébat, ma cambrure en torsion.

M’étreint l’humilité, renaît l’enjeu soudain…
Si l’œuvre éclot ratée, nu séant, je m’accuse.
Honneur étant, mon corps en pâlit néanmoins,
Qu’on lui voue cet accord au masculin de muse.

(Crédit photo : © Arkadie – 2010)

What is lost, and what must be won.

What is lost, and what must be won.
(Photo by Escape Fantasy)

 

Now’s the time for us to accept
That what is lost is better at rest.
In hours and days,
We acknowledge the cost.
Yet how to repay
For what you lack the most,
Why dream you had stayed
In these arms of your host,
When it don’t make a difference,
You’re ten lives away…
It is gone in the distance,
You just followed your way.

Then here comes the time for you to incline
To the feeling of loss
And not having a choice,
Even still it resounds familiar in tune,
And you’ve been here before,
So, you must be immune,
In truth you had more than just no other way,
But you needed to feel it could stop any day.

Now you’re reaching the point
When you’d better assume
How, from this dawn until the last you consume,
All you didn’t once do, as bridges you burn,
All you couldn’t live through, however returns.
It’s your every day’s due, now what must be won.
And no further rescue if damage is done.

Everything gets old nowadays.

Everything gets old nowadays_visual

Everything gets old nowadays.
Aging faster than it used to be,
Or we just felt agreed.
Aging faster from a week to another,
Even from the last till the next hour.
Habits get older as quick as they come,
Our best behaviour tomorrow’s bygone.
In a reset of thoughts do we find a new shelter,
And by playing the ghosts, can we manage to linger.

Everything’s past in a few days,
Whatever the mood, or emotional phase.
It burns out way fuller, blows sooner to decay,
Than it sure would at first or only months away.
And there’s a hunger and thirst always willing to grow ;
Yet the moment it bursts you don’t want it to slow,
Then consume all it’s worth, and now older it shows…

But you know, these days,
Everyone changes anyways.
Faster than a postcard,
Than whatever nice people say.
And there’s a reason your hair would suddenly gray,
Only time is made such a bitter reward,
You wish it never would catch you off guard…

But everything gets old nowadays.
Way faster than it used to,
Or we once knew.
Faster from a dreaming to its nightmare,
From hope to despair.
Until it don’t even seem you just might care.

I didn’t wave goodbye to yesterday,
More, I forgot which was the day.
Don’t know what this life used to be,
The chain is set apart from me.

No word was told, one passed the other by.
Is it too old for us to even try ?
Who’d say hello ? That’s from another time.
The way things go, now’s everybody’s crime.

And life would spin along, just as an endless play,
These years of turning wrong, we knew might have a stay.
I never waved goodbye to yesterday,
It was so long departed anyway.
Nor even cried so much for the old world,
It left too many wishes never heard.

Ton flair darwinien (m’aurait-il désigné par erreur ?)

Charlie Chaplin and Paulette Goddard in Modern Times_1

S’il te revient de choisir un plus fort, un maillon résistant,
Toi, seule à enfanter depuis la nuit des temps ;
S’il te revient de corps, et mieux, d’assentiment,
La perpétuation des gènes en tout assortiment…

Si reste tien l’irréversible effort, ô combien méritant,
D’offrir à l’être humain ce chainon persistant ;
Que t’appartient d’abord, à cœur ou par instinct,
De reproduire un spécimen, au prix d’autres destins.

M’en voudras-tu d’interroger alors, en ce ton révolu,
Ce qui me vaut peut-être à tort un certain dévolu ?
Mon horizon tracé contre sens à l’histoire,
Et ne fraye pour accès qu’un bref échappatoire…

…Il semble étrange au vu d’un tel accord entre nos phéromones,
Ainsi qu’on pût douter encore _ et ta peau me pardonne ;
En reste pourtant clair, à juger d’aujourd’hui,
Que tu poses un mystère en anthropologie.

Me sachant fruit d’un genre à faible essor, en l’époque étranger,
Non cet augure à meilleur sort, élu père ou berger,
Dis-moi, sans remettre en question ce dévouement flatteur,
Indûment porter à caution l’élan de son auteure ;
Se pourrait-il au fond que tu me veuilles impair,
Si darwinien, ton flair, en ferait-il erreur ?

Charlie Chaplin & Paulette Goddard in Modern Times_2