Reconnaître la joie.

Sachons reconnaître la joie,
Sachons la distinguer
Comme elle surgit parfois
Sans paraître aux aguets.

Allons ne pas confondre
Élan d’ébriété
Avec une joie profonde
Âprement suscitée.

Il faut pouvoir dépareiller
Ce court instant de vie radieuse
Où l’on s’éprend d’être égayé.e,
D’un saut de dépression nerveuse.

La joie n’est pas une décompensation,
Elle sait combler, sans faire occultation
Rien qu’au sourire, éclot la distinction
Entre démence et pure exaltation.

Vois comme on rit autour en ces jours-ci,
Pour tromper l’anxiété d’un trait grossi ;
On pisse un territoire à grands coups d’hystérie,
Et ceux qui prennent écart en sont de fait aigris.

Sachons la reconnaître à soi,
Qui nous est propre, cette joie.
Foyer d’un plus grand nombre, elle ancre à soumission
Ferveur, aux idées sombres : agrée ma dissension.

Alors sachons flatter la joie
De son impermanence aiguë
Combien si rare elle est parfois,
Prend son relief en nos vécus.

(Tableau : Pierre Soulages)

(Être) une page sans fin

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Tu voudrais que cette page en vienne à tourner seule…
Et tienne au vent léger d’apprêter son linceul.
À peine un courant d’air, aussitôt le rabat,
_ Quand c’était juste hier, du pli sur nos ébats.

Tu voudrais que dette passe, au premier chant du deuil.
Empreintes à effacer : mieux, retourner la feuille.
On prie bas de se taire un si proche au-delà,
Oraison reste à faire, en sourdine à ce glas.

Mémoire insiste, où vision cesse.
Aucun repos n’éteint la cendre…
Émoi résiste au train qui presse,
Un dernier mot, freinez cassandres…

Il te siérait de n’être otage ainsi d’un autre cœur…
Et ce volet d’histoire en essuie ta rancœur,
À redonner sa chair au cordon ceint d’éclats,
D’une antérieure affaire insoumise au trépas ?

Feindrais-tu que cette page oscille en ta main seule,
Et vienne à ton regret d’en arracher le seuil…
Aimé.e, crois-tu défaire en parenté deux âmes ?
Apprends qu’un jet de terre n’a su courber la flamme.

(Tableau : Edward Hopper – « Compartiment C, Voiture 293 »)

Au masculin de « muse »

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Le sujet prend racine, aimable digression ;
Peut-être y vois-je un signe, ou dérision m’amuse
À pointer que n’existe en courante expression
_ Complaisamment sexiste, un masculin de « muse ».

Est-ce en l’état réduire au strict féminin
Le propre d’influer sur une œuvre, un esprit,
Et ce que dame inspire en grâce ou don divin,
Comme un talent muet, chez l’homme on n’eût inscrit ?

Abandonner ce terme, en désigner un neuf ?
Au moins qu’on ne l’enferme à demeure en cliché.
L’abréger de son « e » produirait un mot veuf,
Assonant peu gracieux, d’être en mâle affiché.

Sans bien me l’avouer, n’ai-je envie jamais eu
D’émouvoir un instant la plume ou le pinceau,
Qu’une autre main douée prendrait à mon insu
Et d’un recoin distant, marquerait tel un sceau…

Frustré, l’homme en artiste, au fond l’est plus encore
À signer portraitiste en se rêvant modèle,
À consacrer le beau sans paraître au décor,
Assorti d’un flambeau qui se voudrait chandelle.

Ô, trahison du mythe ou d’un nom désuet,
Te vois-je ainsi, débat d’un soir évacué,
Me soumettre, insolite encore, une inversion :
Croquer après l’ébat, ma cambrure en torsion.

M’étreint l’humilité, renaît l’enjeu soudain…
Si l’œuvre éclot ratée, nu séant, je m’accuse.
Honneur étant, mon corps en pâlit néanmoins,
Qu’on lui voue cet accord au masculin de muse.

(Crédit photo : © Arkadie – 2010)

Peuple

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Il leur faut des trottoirs où n’erre aucun obstacle,
Assène au coin du bar une intruse, agitée.
D’un enfant, l’impulsive expédie l’habitacle,
Afin que tourne en cycle un bruit d’hérédité.

Lui vient-il au bon sens inhérent, d’éviter
L’embarras qui l’offense à raison d’un virage ;
Ou peut-être d’un mot _ d’ordinaire usité,
Au client sis de dos, réclamer le passage… ?

Il leur faudrait pouvoir, en toute égalité,
Du moindre usage induire une ample faculté.
Certains, de s’émouvoir à première occasion,
Ne souffrant qu’insuffire entrave une inclusion.

Posons qu’être bien né ouvre à de plus grands cieux ;
Mais si d’emblée nos gênes entrainent un contentieux,
Jusqu’où peut-on rogner l’étalon d’un costume,
À tout destin qu’il vienne épouser l’amertume… ?

On réclame un présent lavé de son histoire ;
D’aucuns voudraient absents du marbre de leurs pères,
Le nom et la figure, emblèmes ostentatoires,
Que ces gisants impurs estampillent à notre ère.

Mais quelle œuvre incendier, qui promettre au néant ?
Nos rues ne sont dédiées qu’à faible épreuve au temps.
Hier éclate en vain, paré de blanc ou noir ;
Le panthéon survient d’où s’éteint la mémoire.

On désigne un coupable, un vraisemblant fautif.
Il n’est jamais pensable au comble du tourment,
Que l’instrument d’un tort fût notre esprit rétif,
Où s’échafaude encore un bas ressentiment.

Pour en arriver là, plusieurs ont dû faillir ;
Et l’encre du faux-pas recoupe assez d’empreintes,
À visée d’œil instruit, au point de rejaillir
En désunion des plaintes échues au temps qui suit.

Le peuple est un récit sans dénouement commun,
Chacun son territoire, ou qu’on en vienne aux mains.
Éprouver l’interstice entre deux libertés,
Nous laissait pourtant croire au vivre en société.

Désormais l’on se tranche au gré de chaque enjeu,
À ses voisins de branche on répond du même « je ».
Figurants d’un partage où l’entre-soi prévaut,
Celui de genre ou d’âge, de croyance et de peau.

Le peuple est un vestige, encombré d’orateurs
Exhumant son prestige, à défaut d’unité.
De s’en réclamer face à tout contradicteur,
Au signifiant de « classe », offre un champ limité.

Viser l’universel à portée d’horizon,
Au fixé d’un regard éclairci de raison.
À pointer vers le ciel, on ternit ses lumières,
Imprudemment s’égare un absolu trop fier…

Et d’irrespect urbain en cinglants désaccords,
Au son d’un mot bénin, jusqu’à saignée des corps,
Est-ce un écrou fatal, au cadran d’une époque,
Entraînant que s’installe un climat d’entrechoc ?

Le peuple est un déni, son objet nous distingue…
On choisit l’angle mort où piquer la seringue.
Il oeuvre indéfini tant que peur ne l’assemble,
Et rejaillit d’un corps à qui nul ne ressemble.

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(Dessins originaux : © Franck Dudin)

Dieu ne saurait permettre…

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Dieu ne saurait permettre à l’homme en son royaume,
L’impensé de commettre une fission de l’atome.
Qu’un malheur en puissance échappe aux lois physiques,
Irait à contre-sens du principe anthropique.

Dieu ne saurait permettre un semblant de chaos,
Savants, autant que prêtres, en appellent au crédo.
Je nous sais désireux d’empreindre au champ d’honneur
Des bosses, plus que des creux, un neutron en plein cœur.

Dieu ne saurait prétendre à jouer cartes ou dés.
L’esprit, à s’y méprendre, entends élucider
L’abscons de l’univers, en son immensité.
Du hasard, il espère tirer nécessité.

Dieu ne saurait vouloir qu’on déroge à son œuvre.
Jusqu’où peut-on savoir, sans fausser la manœuvre ?
Nous n’aurons qu’à choisir l’altération du gêne,
Le champ du devenir s’étend à perte humaine.

« Dieu ne saurait permettre », intervient le chercheur,
Par-dessus l’éprouvette, en marge, afflue l’erreur.
Mais tenant tête aux cieux, je nous vois pactiser
Avec des temps radieux, offrant table rasée.

Dieu ne saurait permettre, à l’humain autonome,
L’enfer au point de naître en l’éclat d’un atome,
Qu’un mal exponentiel échappe à son verdict…
On peut douter du ciel, pas des lois qu’il édicte.

Combien je ne t’attends même plus.

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Si tu savais combien je ne t’attends même plus,
Comme un espoir de rien, dont j’apprends la vertu.
L’illusion m’a bercé, d’écueils en précipices.
Aujourd’hui j’aime assez que l’horizon se lisse.

Si tu savais combien je ne t’attends même plus…
Mais qui demeure empreint d’un pareil absolu,
L’écorché solitaire, l’adolescent meurtri ?
Pour ne voir qu’un sur terre, il faut naître ébloui.

Quel que soit ton visage, de blond ou brun cerclé,
L’abîme entre nos âges, impropre à se combler ;
J’ai perdu l’idéal, retrouvé l’éphémère,
L’amour n’est plus fatal, doit-il en être amer ?

Quel que soit ton prénom, il revient par milliers.
De tes lèvres, le son, m’est toujours familier.
Je t’ai déjà connue, oui, regrettée peut-être.
Au commun du vécu, n’entends plus me soumettre.

Alors sachant combien ta renommée s’épuise,
Vexée d’être déchue, voudrais-tu par surprise
Planter à mon insu l’ironie du destin,
Que tu puisses apparaître où, non, je n’attends rien… ?

Si tu savais combien je n’ai plus ce désir,
Le sort voudrait qu’enfin tu cherches à l’assouvir.

Détester son prochain (pour qu’advienne le suivant)

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Détester son prochain, comme on tend au suivant,
Sans porter le regret de n’être issu d’avant.
On fait sien le progrès, à n’envisager mieux
Pour supporter l’instant, qu’un futur audacieux.

Ne voir rien à sauver contient le bienfaiteur.
J’étais si scrupuleux, j’aurais cerclé l’erreur…
À trouver circonstances, on met frein au dépit.
Détrônée, l’indulgence, a fait place au mépris.

J’avais saisi prétexte en l’inadéquation :
Que s’apprête à mon sort un pli de vocation.
Mais l’obligeant s’affecte à vouer sympathie ;
Comment tenir la porte et ne perdre empathie…

Détester son prochain, pour qu’advienne un suivant.
L’horizon n’est certain du nouvel arrivant…
Je laisse un temps surseoir l’appel du lendemain,
Quand l’intrusion d’un soir, ici me tend la main.

Mais si tôt je mesure l’inanité des sens,
Ô combien éphémère, l’expédient à l’absence…
Unique en son recoin, l’altérité prend norme.
On la veut contrepoint, son milieu la conforme
.
Faut-il oser alors en dernier entendement,
Détester son prochain, sacrifier au suivant
Le droit de naître enfin, l’ouvrage d’être vivant.

Faut-il oser alors, en dernier sacrement,
Eu égard à l’humain, le transcender à temps… ?

C.H.R.

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Rendez-vous m’est fixé, deuxième étage – aile gauche.
Métro, puis marche pressée ; pour un peu l’on me fauche
En ma fleur passée d’âge, aussitôt balayée,
Sans savoir quel dommage, le scanner eût livré.

S’offrent à moi plusieurs portes aux verrous incertains,
Mais le plan me conforte : arrivée plus très loin.
Pour autant je dérive, impuissant à frayer
Le chemin d’une esquive à cet acte manqué.

Hôpitaux et cliniques font succession d’accueils.
J’en contiens ma supplique, avoisinant leur seuil.
On m’aiguille de travers, moi qui perd souvent nord…
De virages en revers, qui peut m’attendre encore ?

Près d’une heure a passé, je cavale pour l’honneur.
Un semblant d’inachevé, prend pitié de mon cœur.
Au fond du labyrinthe, j’entrevois les urgences,
Reconnais mon empreinte, tout n’est que résurgence…

Viendrais-je sceller mon sort au ciment d’Hippocrate,
Comme en dernier ressors, le peuple à l’autocrate… ?
Que cette allée au moins me dise enfin son nom.
S’il faut craquer soudain, où dois-je toucher le fond ?

L’alentour devient ville, j’en éprouve le tracé.
Les soignants y défilent, ordonnant les soignés.
Ne lui manque qu’une église, des commerces, un café.
Au fronton sa devise, « nul n’est jamais parfait ».

Persévérant, j’accède au point d’entrée voulu.
Mais comme on brandit, tiède, le flambeau du vaincu…
Rendez-vous ajourné, deuxième étage – aile gauche.
Par déni ou délai, se soustraire à la fauche.

Six jours

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On t’a donné six jours, qu’as-tu refait du monde ?
Le congé n’a payé, ni révision, ni fronde.
Il faudrait reposer, en paix de toute conscience,
À ces drames au long cours, imposer ton silence.

On t’a fait naître ancien, d’illusions moribondes.
Ah, ton siècle irait loin, porté de bras en ondes…
Et puis demain s’attarde, il te bannit d’avance
Du courant de l’histoire, sans même une autre chance.

On t’annonce en présage, à te voir éperdu,
Qu’à tirer sur la corde, elle décroche un pendu.
Vois comment tu sabordes un temps de rémission,
Par un fâcheux dosage en contre-indications.

On t’accorde une semaine, tu veux perpétuité.
Pour solde de tout compte, moins quelques annuités…
Quand point le jour septième, te pressant d’accomplir
Autant qu’un homme escompte, ainsi voudrais-tu fuir ?

On t’a donné six jours, et qu’as-tu fait du monde,
Enfin passée l’idée qu’en ton sens il abonde…
Arrive à destinée ton errance inféconde..